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dimanche 11 octobre 2015

Quand le chat est parti, que font les souris ?

Basilique de Poppo (a. 1031) avec fenêtre double.
Ed. A. Cartel - Trieste

"Je me rappelle ma 4ème B.

On avait appris qu’on n’avait pas cours l’après-midi. Professeure d’allemand absente. Encore une fois, on commençait à avoir l’habitude, on s’était rapidement adaptés : ralentissement ou absence totale de préparation de nos cours de langue, on attendait la dernière minute pour apprendre par cœur déclinaisons et vocabulaire, soutenus dans nos efforts pragmatiques par de multiples antisèches pour prévenir une éventuelle défaillance durant les interrogations, plus fréquentes dans ce cours que nulle part ailleurs. La situation se corsait quand il s’agissait d’avoir fait - et correctement fait - la traduction d’un texte pris dans le manuel scolaire d’apprentissage de la langue allemande niveau 4ème-3ème. L’exercice de traduction en Allemand était vécu comme une épreuve, pire une punition, impossible de tricher ou d’inventer, le couperet tombait sur n’importe qui, chacun souhaitait en silence et la tête rentrée dans les épaules, qu’il ne tomberait jamais sur soi, le couperet, qu’il tomberait toujours sur le voisin d’à côté, de derrière, de devant, bien plus doué et plus malin que soi, forcément. Epreuve punition car le texte sans intérêt ni logique révélait un monde factice. Tout le monde y était tout sourire ou faussement triste ou exagérément ennuyé, affichant dans toutes les situations cet air naïf et niais. Les conflits de fratrie étaient inexistants, les brouilles de couple itou, les situations décrites artificielles – on tournait les pages dans l’espoir vite déçu de tomber enfin sur l’épisode croquignolet, le secret de famille dramatiquement révélé, pouvoir assister à l’éclatement de la cellule familiale parfaite ou au règlement de compte sanglant et vulgaire entre frère et  sœur, enfin cette faille, cet accident, ce dérèglement qui nous l’aurait rendue plus sympathique ou plus réelle. Et parce que et de deux, c’était une famille qui vivait, dans nos livres loués au début de l’année scolaire, une existence de papier teintée à la gouache et à l’aquarelle, complètement tarte mais c’était en allemand, l’épreuve, on le comprend, était de taille, le supplice grand, tout concourrait à nous faire détester ce cours. Nous nous agitions sur nos chaises, nous faisions les guignols en répondant en anglais – ou en latin pour les plus brillants ou ceux qui avaient une meilleure mémoire que les autres. 


Par provocation puérile mais surtout par ennui.

Cette absence de professeur signifiait que nous étions livrés à nous-mêmes après la cantine. Libérés, parfois un peu désœuvrés, paradoxalement : qu’allions-nous pouvoir faire de tout ce temps donné gratuitement ? Plusieurs solutions alors s’offraient à nous pour organiser ce temps libre, inespéré, inattendu. Rentrer chez nous et faire nos devoirs devant la télé tout en écoutant la radio NRJ, Skyrock ou Radio Nova ? Certains avaient opté pour cette solution et avaient sauté la case cantine sans en parler à personne. Ou alors, rester en permanence ou en bibliothèque pour étudier en petits groupes comme nous l’avait recommandé - une fois, deux fois, des centaines de fois pour le salut de "vos esprits" et "l’enrichissement de votre culture et de votre savoir-faire personnel" ! - notre professeure principale. On ne travaillait jamais assez, on était des faignants, des partisans du moindre effort selon elle. Comment espérer s’améliorer si on passait notre temps à faire uniquement ce qui nous était demandé, pas plus et surtout, souvent à vrai dire, bien moins ?  Enfants chahuteurs mais dociles, tous tenaillés malgré tout par le désir de réussite dans le secret de nos chambres, on se devait de travailler. Il fallait pour ce faire choisir le bon lieu, le lieu qui nous motiverait, car on était vite distraits, vite découragés, vite appelés à faire toute autre chose. D'idiot. D'inconséquent.
Trois solutions se présentaient à nous. Un, étudier en salle de permanence. Imaginez une grande pièce longue et monotone, avec ses tables alignées géométriquement les unes derrière les autres devant un bureau austère, posé sur une estrade en bois et un grand tableau noir sans originalité, avec entre les deux, le surveillant, personnage mystérieux et asexué, préoccupé davantage par ses propres petites affaires qui gonflaient son sac fatigué que des nôtres et qui aboyait pour avoir le silence quand il entendait grincer seulement une chaise. Non merci ! Deux, se retrouver entre copains à la bibliothèque. La perspective était toujours alléchante : tables tondes pour collégiens friands de travail en comité intime, chauffeuses pour lecteurs silencieux de fictions illustrées,  tables et chaises dans les coins pour les antisociaux ou les graines de voyous régulièrement mis en colle. Perspective agréable malgré les sautes d'humeur de la bibliothécaire-documentaliste. Trois,  aller chez l'un d'entre nous. Mais qui ? Qui avait une maison ou un appartement assez grand pour tous nous accueillir ? Qui voulait prendre le risque de tous nous rassembler - sans surveillance - en un seul lieu ?

Avec ceux qui restaient - les meneurs, les hésitants, les indécis, les suiveurs, les prêts pour l'aventure et les cancres de service - il fallut tenir un conseil. 15 copains en grappes échangèrent des idées buissonnières dans la cour..."

© ema dée

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