L'un des défis de mon année 2023, produire, produire et produire encore, afin de pouvoir mettre en place et en œuvre de nouveaux projets d'édition comme de nouvelles collaborations. Produire des textes, produire des images, produire des objets — et pas forcément dans cet ordre-là.
Comment s'y prendre ? En faisant feu de tout bois ? En triant les événements sur le volet ? En se jetant sur tout ce qui vient ? Et faire avec la spirale de l'épuisement ? Et que dire de ces journées qui ne sont faites que de 24 heures ? Comment gérer, justement ? Faut-il toujours jongler entre les attentes d'un travail chronophage, les contingences quotidiennes et l'espace intime de la création ?
Le travail chronophage devait être la base sur laquelle édifier l'espace intime ; pour le moment, l'espace intime est rejeté en dehors de la Sphère. L'espace intime est infesté de contingences sporeuses. Du coup, les coutures qui tenaient ma personnalité dans mon corps jusque-là commencent à craquer. Le corps, régulièrement, devient cotonneux. L'espace intime est comme menacé de fragmentation et de dissémination. Comment se fabriquer une nouvelle peau, plus versatile, adaptable, étirable selon les situations ? Le peut-on ? Le doit-on ? Et à qui ?
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Heureusement, les invitations — comme des fenêtres ! En attendant la fin de la mue — le crâne s'effilochant périodiquement en plaques — prospecter le dedans, armée de son imagination.
Je reviens ici sur deux créations réalisées conjointement pour deux situations bien différentes aux mois de janvier et février. Une des réponses à mon "Comment gérer ?" est de décider en début d'année de valoriser au fil de mois, autant que possible, un travail que je mène depuis longtemps, volontairement sans étiquette sans cadre défini sans objectif clair. Dans un seul but, celui d'explorer dans tous les sens la "matière" de ce sujet, toucher du doigt ses sous-entendus, atteindre ses recoins : la Femme, la féminité, le corps féminin — et tout le reste.
1) Femme Vie Liberté
Contexte. Une femme s'approche de mon stand au Salon SoBD en décembre 2022. Elle patiente, longtemps, car une cliente volubile et enthousiaste occupe tout l'espace de l'échange. Finalement, un mot est dit et une brèche se présente : elle rejoint la conversation. Puis, enfin, elle a l'occasion de s'exprimer : en fait, elle soutient la cause des femmes iraniennes et dans ce but, elle cherche des artistes susceptibles de soutenir un propos, un combat, insuffler un espoir et une réflexion, en images, en mots — en actions poétiques — faire lien(s) avec l'Iran.
Je ne me sens jamais prête pour les occasions qui viennent du dehors. Je ne suis jamais préparée au sujet "imposé". Mais la demande est faite, je me pose la question : Que dire ? De bien, d'affûté, de tranchant ? Tous les morceaux de mon espace intime — épars — cherchent à se re-solidariser. Pour plaire. Plongée dans l'angoisse d'une négociation avec moi-même : je ne fais pas dans le dessin politique. Il convient alors de faire le tri entre tout ce qui vient d'inutile et le reste, afin de trouver le propos juste. Longtemps, le rien occupe le vide dans mon cerveau, mobilisant toute ma volonté de dire.
Et puis, il y a le Grand Autre, celle/ celui qui a déjà tout dit et tout bien dit, c'est la référence tutélaire — écrasante et inhibante. L'artiste-roi, Totem ! L'artiste - matrice, la toute - présence Artiste me poignarde : Ah ! l'aiguillon pointu de la comparaison ! Pour autant, il faut se mettre au travail dans, comme on aime tant se murmurer à soi, un projet plus grand que soi.
Jeter les idées en pagaille sur sa feuille de carnet de croquis, à partir d'une intuition : la légèreté, le mouvement, la grâce. Esquisse d'une première idée : des femmes volantes et des lettres calligraphiées et enveloppantes. Convenu ! Esquisse d'une seconde idée : des jambes, des jambes noires, des jambes à motifs noir et blanc, des membres dodues pour dire tout le Corps féminin — des jambes de nageuses pailletées, comme dans les comédies musicales. Convenu ! Esquisse d'une troisième idée : contre l'emballement du corps des femmes iraniennes, contre le carcan social et religieux, peut-être en contre-offensive, un vent de liberté de mouvement et des mœurs : la chevelure à l'excès — façon Drag Queen — follement haute et follement exubérante. Merci Priscillia folle du désert, je t'adore ! Mais il y a aussi les figures de la Grâce, des femmes complices allant par trois dans les tableaux de la Renaissance et du Classicisme...
Et puis, ensuite, les outils. Lequel pour proposer un propos affuté ? Chercher le bon. Craquer pour la mixité : ce sera par conséquent de l'encre Ecoline associée à du crayon de couleur, rehaussée avec un marqueur or, soulignée par des feutres noirs et de couleur, valorisée par des collages faits main.
Contre l'effacement idéologique du corps, je propose la folle matière de la vie !
2) Carabosse, revue à sensibilité féministe et poétique
Créer des images pour des couverture ? Un rêve ! Qui plonge ses racines dans mon adolescence. J'ai découvert l'Art moderne grâce à la collection Poche de Gallimard. René Magritte, Hans Bellmer, Salvador Dali, Marx Ernst, André Breton, Tamara de Lempicka... J'ai découvert des mouvements comme le Symbolisme, l'Art naïf, tout l'Art du 19ème dans des couvertures ! Aujourd'hui, mon intérêt pour cette accroche du livre demeure intacte. Je veux en être. Et la Presse ! Le Dessin de presse ! Un autre rêve qui tremblotte devant mes yeux comme un mirage. Enfin, la poésie. Nul besoin d'écrire de la poésie pour être poète... paraît-il ? La vie peut être un poème fleuve, un geste peut devenir un haïku... paraît-il. Faire de l'acte de dessiner un poème ?... Alors, rêvons ! et au travail !
Aussi, l'appel à création de la toute jeune revue de poésie dirigée par Élisa Darnal et Adeline Miermont - Giustinati a été comme un pont. Proposer un visuel pour la couverture du n°2 de sa revue baptisée Carabosse. Le thème de ce numéro, "L'humour au féminin", m'aura immédiatement inspiré un grand éclat de rire.
" L'idée a pris du temps pour se concrétiser car je pensais au départ proposer un visuel plus "abstrait", moins figuratif, car c'est souvent ce genre de travaux qui accompagnent les textes poétiques. J'ai réalisé cependant que ce n'était pas vraiment ce qui me représentait le plus, et surtout, ce n'est pas de manière abstraite que j'ai réagi au texte donné dans votre appel à création. Finalement, mon fil directeur aura été cet interdit longtemps posé aux femmes de ne pas montrer leurs dents, au risque de paraître vulgaires. L'envie de montrer un grand éclat de rire... au risque de la disgrâce !"
©ema dée
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Ema Dée vous remercie de votre curiosité et de votre visite. À bientôt !