Impossible pour moi de ne pas revenir sur le défi graphique du mois d'octobre dernier ! Il fut exigeant et énergivore - parfois frustrant dans ses résultats. Mais surtout, il marque une inflexion bienvenue dans la pratique artistique telle que je la mène et la conçois depuis 2022.
Cet été, j'ai réalisé qu'elle a souvent été sporadique, concentrée sur des expériences éditoriales principalement menées dans une visée de salons ou de marchés. Aussi, son volet réellement graphique - permettant de faire advenir dessins d'art et/ ou dessins d'illustrations pour eux-mêmes - fut réduit à une portion congrue. Seuls, quelques challenges venus de l'extérieur m'ont permis, dans cette période, de mener des investigations un tant soit peu expérimentales. Quand je dis "expérimentales", j'entends toujours "des réalisations libres propices à faire émerger des envies de développements inédits, quels qu'ils soient".
Ainsi, Zooktober, le bruit des animaux vient rompre avec une routine créative devenue un poil ronflante ; j'avais parfois l'impression que tout était déjà connu, que j'avançais en terrain bien trop familier pour être encore capable de me réserver des surprises. Pire ! que mon travail créatif devenait prévisible, utilisant des chemins bien balisés !
D'une part, je travaille à partir de nouvelles photographies documentaires d'animaux, provenant de différents sources, très souvent accompagnées d'informations faisant le point sur l'état de développement et les conditions de vie de chacun sur la planète. Cette recherche documentaire est conduite par la nécessité de trouver plusieurs angles de vue pour le même animal et d'entrer un peu dans le mystère de son existence. Et, dans le carnet de croquis réservé à ce défi, j'accumule à l'envi détails et photos d'ensemble.
D'autre part, j'utilise un outil dont je me suis peu servi jusque-là : le pinceau chinois. A chaque outil, sa grammaire, son expression. Le pinceau chinois, lui, m'invite à penser le dessin du corps de l'animal dans un mouvement parfois souple, dynamique, parfois, abrupte et net, pour un résultat schématique. Sans le conscientiser vraiment, je choisis très rapidement de représenter les animaux en entier, en tenant compte aussi du rendu de la texture du poil. Je retombe avec délice avec ce que j'aime beaucoup produire, dresser des inventaires, faire des listes, travailler la matière !
De plus, j'assume un dessin à l'encre de Chine "réaliste" mais pas toujours hyper exact au niveau des proportions ; il m'aurait fallu bien de séances d'études pour mieux les représenter et du temps encore, pour y glisser ma touche personnelle. J'oublie sciemment les quelques leçons issues de mon parcours éclair en cours de dessin académique. Je ne prends pas forcément de mesures précises, je cherche plutôt à dessiner au jugé, une "architecture anatomique" qui répond à des questions telles que, par exemple : Comment s'articulent les narines, le nez, le museau, la gueule, selon l'animal choisi ? Comment les pattes avant communiquent-elles avec la tête et l'échine de l'animal ? Comment rendre la diversité des pelages avec le même outil ?...
Enfin, je réinvestis l'exercice à contrainte(s) : ici, elles sont temporelles autant que techniques. Parce que j'ai décidé de "mettre en image" un choix limité de verbes correspondant à des bruits d'animaux, je dois être productive et efficace en même temps : une étape de dessin rapide au crayon Mars Lumograph Black, idéal pour tracer, vite et beaucoup, des lignes et des surfaces en valeurs de gris, suivie en seconde étape, de plusieurs dessins au pinceau et à l'encre de Chine pure, qui peuvent aller vers la caricature, l'expressivité, l'épure. Une gymnastique quotidienne - ou presque - d'environ 1h s'installe et dont les buts sont variés : s'amuser, gagner en dextérité, découvrir, lâcher prise, explorer, s'entraîner. S'entraîner, en effet. A ces deux moments de gammes graphiques succèdent le dessin dit "définitif" produit généralement en trois exemplaires différents au cours des 30 minutes suivante. C'est une de ces trois créations sur papier que je vais partager chaque jour en ligne, d'abord sur ce blog-ci, puis, par lot en fin de semaine sur Instagram, et ce, cinq fois au cours du mois d'octobre.
Ce partage en ligne de dessins définitifs un peu bruts et en noir et blanc m'a eu de cesse de me questionner. Peut-être à tort, j'ai tendance à ne vouloir montrer sur ce réseau que les dessins définitifs aboutis, préférablement en couleurs. Je me dis souvent que dans cet espace-là, il y a peu de places pour la trace, le dessin raté, repris. Une image partagée, dessin ou illustration, doit se tenir ; une artiste ne peut montrer que, par moments, son dessin peut être faux, hésitant, insuffisant. Et que dans cette insuffisance, il peut y avoir une idée en germe.
Je reviens sur un détail important de ce compte-rendu d'expérience : mes sources*. Sur ce point également, je me suis questionnée. Comment les mentionner ? Comment remercier les photographes amateurs.ers et professionnels.elles qui ont la chance de rencontrer des animaux de leur environnement, savane, forêt, un désert, bois... et qui partagent leurs images via des blogs, des sites d'actualités ou de réserves ? (Je me désole souvent de ne pas jouir d'une liberté matérielle me permettant d'aller prendre mes propres photos documentaires aux quatre coins du globe !) Autant que possible, ces sources seront précisées après chaque dessin au fil des jours à venir.
*Pour ce projet, je me suis appuyée sur la version de 2012 du Lexique des bruits des animaux élaboré par Jean-Pierre Policard (jeanpierrepol@voila.fr).
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